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d’un désaccord et d’une inconsistance originels, c’est à-dire d’une inexactitude de celle-ci. Quand une idée juste se présente dans une tête, cette idée aspire d’emblée à la clarté, et bientôt elle y arrivera : ce qui est nettement conçu trouve facilement son expression adéquate. Les choses qu’un homme est à même de penser se laissent aussi toujours exprimer en termes clairs, saisissables et non équivoques. Ceux qui assemblent des phrases pénibles, obscures, enchevêtrées et équivoques, ne savent certainement pas bien ce qu’ils veulent dire ; ils n’ont qu’une conscience obtuse qui aspire à une idée. Souvent aussi ils veulent se dissimuler à eux-mêmes et dissimuler aux autres qu’ils n’ont en réalité rien à dire. Ils veulent, à l’instar de Fichte, Schelling et Hegel, paraître savoir ce qu’ils ne savent pas, penser ce qu’ils ne pensent pas, et dire ce qu’ils ne disent pas. Quelqu’un qui a quelque chose de sérieux à dire s’efforcera-t-il, oui ou non, de parler obscurément ou clairement ? Quintilien a déjà dit (Institutiones oratoriæ, livre II, chap. iii) : « Plerumque accidit ut faciliora sint ad intelligendum et lucidiora multo, quæ a doctissimo quoque dicuntur… Erit ergo obscurior, quo quisque deterior[1] ».

L’inintelligible est apparenté à l’homme inintelligent, et il renferme toujours, selon toute vraisemblance, bien plutôt une mystification qu’une grande profondeur d’idées.

De même, il ne faut pas s’exprimer énigmatiquement,

  1. « Il arrive ordinairement que les choses dites par un homme très instruit sont beaucoup plus faciles à comprendre et bien plus claires… On sera donc d’autant plus obscur, qu’on aura moins de valeur ».