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d’autant plus fréquente. Quand ce style est uni à la préciosité, il est dans les livres ce que sont dans les rapports sociaux la gravité affectée, les grands airs et la pose, et n’est pas moins insupportable. La pauvreté intellectuelle s’en fait volontiers une parure, comme, dans la vie, la sottise s’en fait une de la gravité et du formalisme.

Écrire précieusement, c’est ressembler à celui qui s’attife pour ne pas être confondu et mélangé avec le peuple : danger que ne court pas le gentleman, si mal vêtu qu’il soit. De même qu’on reconnaît le plébéien à un certain luxe de vêtements et au « tiré à quatre épingles », au style précieux on reconnaît le cerveau ordinaire.

Celui qui a quelque chose à dire méritant d’être dit, n’a pas besoin de l’envelopper dans des expressions précieuses, des phrases pénibles et des allusions obscures. Il peut l’exprimer simplement, clairement et naïvement, et sera sûr qu’il ne manquera pas son effet. Celui qui recourt aux moyens artificiels signalés trahit donc sa pauvreté d’idées, d’esprit et de connaissances. C’est néanmoins une erreur de vouloir écrire comme on parle. Tout style écrit doit plutôt garder une certaine trace de parenté avec le style lapidaire, qui est l’ancêtre de tous. Écrire comme on parle est donc aussi condamnable que la chose opposée : vouloir parler comme on écrit, qui rend le style pédantesque et en même temps difficile à comprendre.

L’obscurité et l’indécision de l’expression sont toujours un très mauvais signe. Dans quatre-vingt-dix-neuf cas sur cent, en effet, elles proviennent de l’indécision de la pensée, qui elle-même résulte presque toujours