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Par contre, pour les mêmes raisons, un écrit objectivement ennuyeux reste toujours sans valeur. L’ennui subjectif, lui, est simplement relatif ; il a sa source dans le manque d’intérêt du sujet pour le lecteur, qui le trouve trop limité à un point de vue quelconque. L’œuvre la plus excellente peut donc être aussi subjectivement ennuyeuse pour celui-ci ou pour celui-là ; comme, au rebours, l’œuvre la plus mauvaise peut être divertissante aussi subjectivement pour l’un ou pour l’autre, parce que le sujet, ou l’écrivain, intéresse.

Il serait tout à fait profitable aux écrivains allemands de comprendre que si l’on doit, autant que possible, penser comme un grand esprit, il faut, par contre, parler le même langage que chacun : employer des mots ordinaires, et dire des choses extraordinaires. Mais ils agissent à l’inverse. Nous les voyons qui s’efforcent d’envelopper des idées triviales dans de grands mots, et de revêtir leurs idées très ordinaires des expressions les plus extraordinaires, des phrases les plus recherchées, les plus précieuses et les plus rares. Ces phrases marchent constamment sur des échasses. Le type de ces écrivains, au point de vue de l’amour du boursouflage comme du style ambitieux, bouffi, précieux, hyperbolique et acrobatique, c’est le porte-drapeau Pistol, auquel son ami Falstaff crie un jour impatiemment : « Dis ce que tu as à dire comme un homme de ce monde ![1] »

Il n’y a pas en allemand d’expression correspondante à celle de « style empesé » ; mais la chose elle-même est

  1. Shakespeare, Le roi Henri IV, 2e partie, acte V, scène iii. (Le trad.)