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La même différence peut être observée en musique. Toujours et partout c’est l’omniprésence de l’esprit qui caractérise les œuvres du génie. Elle est analogue à l’omniprésence de l’âme de Garrick dans tous les muscles de son corps, suivant la remarque de Lichtenberg.

Ce qu’écrivent les gens ordinaires a l’air d’être fait d’après un patron. Cela consiste en tournures et en phrases toutes faites, à la mode du jour, qu’ils couchent sur le papier sans se rendre compte eux-mêmes de ce qu’ils font. Le cerveau supérieur approprie chaque phrase au cas spécial présent.

Il en est des expressions frappantes, des phrases originales et des tournures heureuses, comme des vêtements. Quand ils sont neufs, ils brillent et font beaucoup d’effet. Mais bientôt chacun y passe la main, ce qui en peu de temps les use et les ternit, de sorte qu’à la fin ils n’ont plus aucun prestige.

Il convient de remarquer, au sujet de l’ennui dégagé par les livres dont il a été question plus haut, qu’il y a deux sortes d’ennui : l’un objectif, et l’autre subjectif. L’ennui objectif provient toujours du défaut signalé ici, à savoir que l’auteur n’a ni idées parfaitement claires, ni lumières à communiquer. Celui qui possède les unes et les autres poursuit en droite ligne son but, qui est d’en faire bénéficier autrui. Il présente donc toujours des notions clairement exprimées, et n’est en conséquence ni prolixe, ni insignifiant, ni confus, c’est-à-dire n’est pas ennuyeux. Même si son idée fondamentale était une erreur, elle n’en est pas moins, en pareil cas, clairement pensée et mûrement pesée, c’est-à-dire tout au moins correcte au point de vue de la forme ; et cela assure à l’écrit toujours quelque valeur.