Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.

faire croire qu’elle renferme plus de choses qu’on n’en perçoit actuellement. En conséquence, ils la jettent sur le papier tantôt par fragments, en courtes sentences équivoques ou paradoxales qui semblent signifier beaucoup plus qu’elles ne disent (Schelling fournit de magnifiques exemples de ce genre dans ses écrits sur la philosophie naturelle) ; tantôt ils l’énoncent en entassant les mots avec la plus insupportable prolixité, comme s’il fallait tant de façons pour rendre intelligible le sens profond de celle-ci, — alors que c’est une idée toute simple, quand ce n’est pas une trivialité. (Fichte, dans ses écrits populaires, et cent misérables imbéciles indignes de mention, dans leurs manuels philosophiques, en livrent des exemples en abondance) ; ou bien ils s’appliquent à un genre quelconque de style qu’il leur a plu d’adopter et qui vise à la distinction, par exemple à un style profond et scientifique par excellence, — κατ’ ἐξοχήν — où l’on est torturé à mort par l’effet narcotique de longues périodes filandreuses vides de pensées (ce sont particulièrement les hégéliens, les plus impudents de tous les mortels, qui pratiquent ce style dans le journal consacré à leur maître, les Jahrbücher der wissenschaftlichen Litteratur) ; ou même ils visent à une manière d’écrire spirituelle où ils semblent vouloir paraître fous, etc. Tous les efforts analogues par lesquels ils cherchent à éviter le nascetur ridiculus mus, rendent souvent difficile la compréhension réelle de leur œuvre. Avec cela, ils écrivent aussi des mots, même des périodes entières, sans penser quoi que ce soit, mais avec l’espoir qu’ils éveilleront une pensée chez un autre. Au fond de tout ce labeur, il n’y a que l’effort infatigable, s’essayant toujours dans