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plus infaillible que celle du corps. Imiter le style d’autrui, c’est porter un masque. Si beau que soit celui-ci, le manque de vie le rend bientôt insipide et intolérable ; de sorte que même le visage vivant le plus laid vaut mieux. Voilà pourquoi les auteurs écrivant en latin, qui imitent le style des anciens, ressemblent aussi à des masques. On entend bien ce qu’ils disent ; mais on n’aperçoit pas leur physionomie : le style ; tandis qu’on aperçoit bien celui-ci dans les écrits latins des penseurs indépendants, qui ne se sont pas soumis à cette imitation, comme Scot Érigène, Pétrarque, Bacon, Descartes, Spinoza, etc.

L’affectation dans le style est comparable aux grimaces. La langue dans laquelle on écrit est la physionomie nationale. Elle établit de grandes différences, depuis le grec jusqu’au caraïbe.

Pour assigner aux productions d’un écrivain leur valeur provisoire, il n’est pas absolument nécessaire de savoir sur quelle matière il a pensé ou ce qu’il a pensé. Il faudrait pour cela lire toutes ses œuvres. Il suffit de savoir avant tout comment il a pensé. Or, de ce comment il a pensé, de ce caractère essentiel et de cette qualité générale de sa pensée, son style est une impression exacte. Celui-ci montre le caractère formel de toutes les pensées d’un homme qui doivent toujours rester semblables à elles-mêmes, quoi qu’il pense et sur quelque matière qu’il pense. On a là en quelque sorte la pâte avec laquelle il pétrit toutes ses figures, si différentes qu’elles puissent être. De même que Tyl Ulespiègle répondait d’une manière en apparence absurde à l’homme qui s’informait à lui de la distance