Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.

laisse par là même croire de lui qu’il veut tromper le public, ou attaquer sans danger l’honneur des autres. Aussi ne devrait-on mentionner un critique anonyme, même cité en passant et en dehors de tout blâme, qu’en lui accolant ces épithètes : « Tel lâche coquin anonyme », ou : « Le gredin anonyme masqué de ce journal », etc. C’est là vraiment le ton convenable et séant pour parler de ces drôles, afin de les dégoûter de leur métier. Il est manifeste, en effet, que celui-là seul peut aspirer à une estime personnelle quelconque, qui laisse voir qui il est, pour que l’on sache qui l’on a devant soi ; mais non celui qui se glisse déguisé et masqué, en faisant ainsi l’arrogant. Celui-là est bien plutôt, par le fait même, hors la loi. Il est Ὀδυσσεύς Οὔτις, M. Personne, et chacun a le droit de déclarer que M. Personne est un coquin. Voilà pourquoi on doit aussitôt traiter chaque critique anonyme, surtout dans les anticritiques, de coquin et de canaille, et non lui dire, comme le font par lâcheté quelques écrivains salis par cette bande : « l’honorable critique ». « Celui qui ne se nomme pas est une canaille » : tel doit être le mot d’ordre de tous les écrivains honnêtes. Et si, plus tard, l’un de ceux-ci vient à enlever sa cape qui rend invisible à un de ces gaillards qui a passé par les verges, et, l’ayant saisi par l’oreille, le traîne au grand jour, le hibou, vu ainsi, provoquera une vive allégresse. Le premier transport d’indignation, quand on entend une calomnie sortir de la bouche de quelqu’un, s’exprime en général par un : « Qui dit cela ? » Mais l’anonymat ne fait aucune réponse.

Une impertinence particulièrement risible de ces critiques anonymes, c’est que, comme les rois, ils parlent par : Nous. Or, ce n’est pas seulement au singulier,