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lard qui ne veut pas prendre la responsabilité de ce qu’il fait savoir au monde — ou, suivant le cas, laisse ignorer — sur les autres et leurs travaux, et en conséquence ne se nomme pas. Tout compte rendu anonyme est suspect de mensonge et de fourberie. Puisque la police ne permet pas qu’on aille masqué dans les rues, elle ne devrait pas permettre qu’on écrive anonymement. Les journaux littéraires anonymes sont tout spécialement l’endroit où l’ignorance juge impunément le savoir, la sottise l’intelligence, où le public est impunément trompé, et où on lui escroque en outre, en vantant le mauvais, son temps et son argent. Et on tolère cela ? L’anonymat n’est-il donc pas le ferme rempart de toute gredinerie littéraire, surtout en matière de journaux ? Il doit donc être extirpé jusqu’à la racine, c’est-à-dire au point que même chaque article de journal porte toujours le nom de son auteur, sous la responsabilité sévère du directeur quant à l’exactitude de la signature. L’homme même le plus insignifiant étant connu dans le lieu qu’il habite, les trois quarts des mensonges des journaux tomberaient ainsi, et on mettrait un frein à l’impudence de mainte langue venimeuse. En France on est en train d’agir dans ce sens.

En littérature, tant que cette mesure n’existera pas, tous les écrivains honnêtes devraient s’unir pour proscrire l’anonymat, en le stigmatisant de toute la force de leur mépris, ouvertement, infatigablement, journellement, et en faisant valoir par tous les moyens qu’une critique anonyme est une indignité et une infamie. Attaquer anonymement des gens qui n’ont pas écrit anonymement, c’est là chose manifestement infâme. Celui qui écrit et polémise sous le voile de l’anonymat,