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rendus ! Aussi Riemer[1] a-t-il parfaitement raison de dire dans la préface de ses Communications sur Gœthe : « Un adversaire déclaré, qui vous fait face, est un adversaire honnête, modéré, avec lequel on peut s’entendre, s’accorder, se réconcilier. Un adversaire dissimulé, au contraire, est un vil et lâche coquin, qui n’a pas assez de cœur pour avouer ce qu’il juge, et qui, par conséquent, ne s’inquiète pas de son opinion, mais seulement de la joie secrète qu’il éprouve à décharger anonymement et impunément sa bile. » C’était là sûrement aussi l’avis de Gœthe, qui s’exprime le plus souvent par la bouche de Riemer. Pour revenir à la règle de Rousseau, elle s’applique à chaque ligne livrée à l’impression. Souffrirait-on qu’un homme masqué haranguât la foule, ou voulût parler devant une assemblée ? Et qu’avec cela il attaquât les autres et leur prodiguât le blâme ? Les coups de pied de ceux-ci ne feraient-ils pas aussitôt prendre à ses pieds, à lui, le chemin de la porte ?

La liberté de la presse, enfin obtenue en Allemagne, et immédiatement pratiquée de la plus honteuse façon, devrait au moins être subordonnée à la défense de tout anonymat et pseudonymat, de manière que chacun répondît au moins sur son honneur, s’il en a un, de ce qu’il annonce publiquement par le vaste porte-voix de la presse ; et s’il n’a pas d’honneur, afin que son nom neutralise sa parole. Un critique anonyme est un gail-

  1. Frédéric-Wilhelm Riemer (1774-1845), précepteur pendant neuf ans du fils de Gœthe, puis professeur au gymnase de Weimar et bibliothécaire du grand-duc, a laissé un ouvrage très intéressant : Mitteilungen über Gœthe aus mündlichen und schriftlichen Quellen, 2 vol., 1841. (Le trad.)