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grouillent, à l’égard des êtres stupides et sans cervelle. En littérature, ils sont d’éhontés intrus, et y rabaisser le mauvais, c’est un devoir envers le bon ; car celui qui ne trouve rien mauvais, ne trouve non plus rien bon. D’une façon générale, la politesse, qui est la conséquence des rapports sociaux, est, en littérature, un élément étranger, souvent très nuisible ; car elle exige qu’on fasse bon accueil au mauvais, en allant ainsi juste à l’encontre des fins de la science comme de celles de l’art. Il est vrai qu’un journal littéraire tel que je le réclame ne pourrait être rédigé que par des gens associant une honnêteté incorruptible à des connaissances rares et à une force de jugement plus rare encore. Aussi, l’Allemagne entière pourrait-elle au plus créer un seul journal pareil, qui constituerait alors un juste aréopage, et dont chaque membre serait choisi par tous les autres ; tandis que, à présent, les journaux littéraires sont aux mains de corps universitaires, de coteries littéraires, en réalité peut-être même de libraires, qui les exploitent dans l’intérêt de leur commerce, et qu’ils rassemblent quelques mauvaises têtes coalisées contre le succès de ce qui est bon. Il n’y a nulle part plus d’improbité qu’en littérature, Gœthe l’a déjà dit[1].

  1. Schopenhauer fait allusion à ce passage des Tag- und Jahreshefte, année 1821 : « Le bon est tenu au secret sous le silence le plus absolu, genre de censure inquisitoriale que les Allemands ont porté loin ». Il raconte ailleurs que, ayant trouvé à Berka, en 1814, Gœthe occupé à lire l’Allemagne, de Mme de Staël, il lui fit remarquer qu’elle exagérait l’honnêteté des Allemands, ce qui pouvait induire les étrangers en erreur sur leur compte. « Oui, répondit Gœthe en riant, ceux-ci ne consolideront pas leur coffre-fort, et on le leur volera ». Puis il ajouta sur un ton sérieux : « Mais si l’on veut apprendre à connaître la malhonnêteté des Allemands dans toute son étendue, il faut