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dédaigne ; il reste en dehors de la mode. Au bout de quelques années, le public aussi y voit clair, et apprécie la farce à sa valeur. Il s’en moque, et le fard tant admiré de toutes ces œuvres maniérées tombe comme le mauvais plâtre d’un mur ; et comme de celui-ci, on ne s’en occupe plus. Aussi, loin de s’irriter, doit-on se réjouir quand un principe faux, qui depuis longtemps déjà opère en silence, est exprimé à haute et intelligible voix. À partir de ce moment, sa fausseté est bientôt sentie et reconnue, et finalement proclamée. C’est comme un abcès qui crève.

Les journaux littéraires devraient être la digue opposée au gribouillage sans conscience de notre temps et au déluge de plus en plus envahissant des livres inutiles et mauvais. Grâce à un jugement incorruptible, juste et sévère, ils flagelleraient sans pitié chaque bousillage d’un intrus, chaque griffonnage à l’aide duquel le cerveau vide veut venir au secours de la bourse vide, c’est-à-dire au moins les neuf dixièmes des livres, et se mettraient ainsi en travers de l’écrivaillerie et de la filouterie, au lieu de les favoriser par leur infâme tolérance, qui pactise avec l’auteur et l’éditeur, pour voler au public son temps et son argent. En règle générale, les écrivains sont des professeurs ou des littérateurs qui, gagnant peu et étant mal payés, écrivent par besoin d’argent. Or, poursuivant un but commun, ils ont un intérêt commun à s’unir, à se soutenir réciproquement, et chacun chante à l’autre la même chanson. C’est la source de tous les comptes rendus élogieux de mauvais livres qui remplissent les journaux littéraires. Ceux-ci devraient donc porter