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que les animaux et les plantes fossiles du monde primitif. Sa vie réelle, momentanée, peut être comparée aussi au cristal à l’instant de sa congélation.

Dès que notre penser a trouvé des mots, il n’existe déjà plus en nous, il n’est plus sérieux dans son fond le plus intime. Quand il commence à exister pour d’autres, il cesse de vivre en nous. Ainsi l’enfant se sépare de sa mère, quand il entre dans sa propre existence. Le poète a dit aussi :

« Vous ne devez pas me troubler par des contradictions !
Dès qu’on parle, on commence à se tromper[1]. »

La plume est à la pensée ce que la canne est à la marche ; mais c’est sans canne qu’on marche le plus légèrement, et sans plume qu’on pense le mieux. Ce n’est qu’en commençant à devenir vieux, qu’on se sert volontiers de canne et de plume.

Une hypothèse qui a pris place dans la tête, ou qui même y est née, y mène une vie comparable à celle d’un organisme, en ce qu’elle n’emprunte au monde extérieur que ce qui lui est avantageux et homogène, tandis qu’elle ne laisse pas parvenir jusqu’à elle ce qui lui est hétérogène et nuisible, ou, si elle ne peut absolument l’éviter, le rejette absolument tel quel.

La satire doit, comme l’algèbre, opérer seulement avec des valeurs abstraites et indéterminées, non avec des valeurs concrètes ou des grandeurs spécifiées. Et il faut aussi peu l’appliquer que l’anatomie à des êtres

  1. « Ihr müsst mich nicht durch Widerspruch verwirren !
    Sobald man spricht, beginnt man schon zu irren. »