Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sément dans la forme, — par conséquent dans les branches poétiques. Cependant on voit fréquemment de mauvais écrivains dramatiques s’efforcer de remplir le théâtre au moyen de la matière. Ainsi, par exemple, ils produisent sur la scène n’importe quel homme célèbre, si dépourvue de faits dramatiques qu’ait pu être sa vie, parfois même sans attendre la mort des personnes qui apparaissent avec lui.

La distinction faite ici entre la matière et la forme s’applique aussi à la conversation. C’est l’intelligence, le jugement, l’esprit et la vivacité qui mettent un homme en état de converser ; ce sont eux qui donnent la forme à la conversation. Mais bientôt viendra en considération la matière de celle-ci, c’est-à-dire les sujets sur lesquels on peut causer avec cet homme : ses connaissances. Si celles-ci sont très minces, ce n’est qu’un degré exceptionnellement élevé des qualités de forme précédentes qui peut donner de la valeur à sa conversation, en dirigeant celle-ci, quant à sa matière, sur les choses humaines et naturelles généralement connues. C’est l’inverse, si ces qualités de forme font défaut à un homme, mais si ses connaissances de n’importe quelle nature donnent de la valeur à sa conversation, qui, en ce cas, repose tout entière sur sa matière. C’est ce que dit le proverbe espagnol : mas sabe el necio en su casa, que el sabio en la agena. (Le sot en sait plus dans sa propre maison, que le sage dans la maison d’autrui).

La vie réelle d’une idée ne dure que jusqu’à ce qu’elle soit parvenue au point extrême des mots. Alors elle se pétrifie, meurt, mais en restant aussi indestructible