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il trompe le lecteur ; en effet, son prétexte pour écrire, c’est qu’il a quelque chose à dire. Les honoraires et l’interdiction du droit de reproduction sont, au fond, la ruine de la littérature. Celui-là seul écrit quelque chose en valant la peine, qui n’écrit qu’en vue du sujet. Quel inappréciable avantage ce serait, si, dans toutes les branches d’une littérature, il n’existait que quelques livres, mais excellents ! Il ne pourra jamais en être ainsi, tant qu’il s’agira de gagner de l’argent. Il semble qu’une malédiction pèse sur celui-ci ; tout écrivain qui, d’une façon quelconque, vise avant tout au gain, dégénère aussitôt. Les meilleures œuvres des grands hommes datent toutes du temps où ceux-ci devaient encore écrire pour rien ou pour très peu de chose. En ce point aussi se confirme donc le proverbe espagnol : Honra y provecho ne caben en un saco (Honneur et profit n’entrent pas dans le même sac). La déplorable condition de la littérature d’aujourd’hui, en Allemagne et au dehors, a sa racine dans le gain que procurent les livres. Celui qui a besoin d’argent se met à écrire un volume, et le public est assez sot pour l’acheter. La conséquence secondaire de ceci, c’est la ruine de la langue.

Un grand nombre de méchants écrivains ne tirent leur subsistance que de la sottise du public, qui ne veut lire que le produit du jour même. Il s’agit des journalistes. Ils sont dénommés à merveille ! En d’autres termes, on pourrait les qualifier de « journaliers ».

De nouveau, on peut dire qu’il y a trois sortes d’auteurs. En premier lieu, ceux qui écrivent sans penser. Ils écrivent de mémoire, par réminiscence, ou même directement avec les livres d’autrui. Cette classe est la