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enrichi le monde intellectuel de quelques idées, et il y avait injustice flagrante à prétendre les juguler sous une invective ou une épigramme.

Quoi qu’il en soit, il y a chez Schopenhauer autre chose et mieux, nous le savons de reste, que ces parties haineuses et rancunières. Tel critique exigeant a pu prétendre qu’il ne nous apporte rien qu’on n’ait su avant lui. C’est possible, et lui-même a dit que les meilleures choses sont rarement neuves. En tout cas, il renouvelle l’aspect obsolète des vieilles vérités, et la logique vigoureuse, l’abondance inépuisable de démonstrations et de preuves avec lesquelles il les réédite, leur enlèvent leurs rides séculaires et les font réapparaître dans leur primitive fraîcheur.

Une particularité intéressante de la manière de Schopenhauer dans tous ses ouvrages, c’est l’emploi des citations. Nourri de la moelle des auteurs de l’antiquité classique, comme de celle de nos meilleurs écrivains français, et aussi des écrivains anglais, italiens et même espagnols, sans parler de la sagesse des Hindous, il les fait intervenir à tour de rôle à l’appui de ses propres idées, auxquelles ils prêtent la force de leur autorité plus ancienne et de leur raison déjà éprouvée. C’est aussi pour le philosophe un moyen d’introduire de temps en temps une pause dans le développement de son exposé, afin de secouer et de réveiller son lecteur, quand il croit le moment venu. Ces gouttes de sagesse cosmopolite, départies à une dose parfois un peu forte, sont très réconfortantes ; c’est une sorte d’élixir de vie dans lequel se condensent les pensées du philosophe. Quand il s’agit des Grecs et des Romains, Schopenhauer est plutôt éclectique ; il allègue indifféremment Platon et Aristote, Cicéron et Quintilien. Parmi les Français, ses garants habituels sont La Rochefoucauld, La Bruyère, Vauvenargues, Voltaire, et surtout Chamfort, dont l’esprit mordant et désabusé avait tant d’analogie avec le sien. Sa sympathie pour nos écrivains ne l’a pas empêché, soit dit entre parenthèse, de malmener notre langue, dans une note que l’on trouvera au bas de la page 95 de ce volume, avec une