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baroques de son temps, qu’il a eu directement en vue nos symbolistes, décadents et autres débiles d’esprit de l’heure présente, qui relèvent bien moins de la littérature que de la médecine aliéniste ? La graphomanie de ceux-là nous donne un avant-goût de la « verbigération » incohérente de ceux-ci[1]. Et, partout, quelle verve sans cesse en éveil, quel incessant feu d’artifice de métaphores et d’images étincelantes, qui lui servent à illuminer la démonstration abstraite forcément terne ! Il lui faut toujours aussi quelque victime, aux oreilles de laquelle il fait siffler les lanières de son fouet vengeur de ce qu’il tient pour les vrais principes philosophiques et du sens commun, et dont les grimaces, au cours de cette exécution, ne manquent pas d’amuser beaucoup la galerie, de tout temps encline, en vertu d’une disposition de nature, à prendre parti pour le batteur contre le battu. On dirait parfois, remarque un écrivain anglais au sujet de ces coups d’étrivières plus ou moins justifiés, mais assénés de main de maître, qu’on voit passer devant soi une création de Molière. Schopenhauer était un de ces « bons haïsseurs » selon le cœur de Swift, auquel il semble avoir emprunté quelques traits de son ironie corrosive comme une morsure de vitriol. Cependant, tout esprit impartial ne pourra s’empêcher de trouver qu’il la poussé souvent trop loin. Quand, par exemple, il enfourche son dada habituel, l’éreintement de la trinité Fichte-Schelling-Hegel, on est bien forcé de se dire que ces trois têtes philosophiques ne méritent en rien les bottées d’injures qu’il leur déverse avec une prodigalité inépuisable. Sans doute, les doctrines de cet illustre trio ont cédé le terrain à celles de leur adversaire déterminé, et ne sont plus guère aujourd’hui qu’un souvenir rétrospectif, une date dans l’histoire de l’évolution de l’esprit humain. Mais elles ont, à un moment, tenu une place glorieuse dans celle-ci, elles ont

  1. Il avait la haine du poète médiocre, « forgeron de rimes et corrupteur du goût ». Il veut qu’on le contraigne « à lire du bon, au lieu d’écrire du mauvais ». Il lui souhaite d’être écorché vif, comme Marsyas, qui en arriva jusqu’à mettre en fureur le doux Apollon.