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Les œuvres antérieures du philosophe bénéficièrent en même temps du succès de celle-ci. Il avait soixante-trois ans.

Ces essais sont une curieuse et incisive critique de la vie par un homme qui avait des idées sur toutes choses et la connaissait à fond, en vertu d’un don d’observation qu’on peut qualifier de génial. Il procède toujours de première main. Il n’y a point d’écho académique dans ses théories, qui ont la prétention d’être tirées directement des faits et d’interpréter le monde tel qu’il est. Il ne s’agit point ici de généralités abstraites, mais d’une expérience personnelle qui se révèle presque à chaque page, et qui donne à certains chapitres tout l’intérêt d’une biographie. C’est comme un miroir qui renvoie le reflet d’une individualité caractéristique et un peu bizarre, faite de contrastes étranges, peut-être assez peu sympathique, mais, au demeurant, vigoureuse et saine, ignorante de toutes les réticences qui constituent le fond des relations sociales, des « mensonges conventionnels de la civilisation » fouaillés avec tant d’amère éloquence par Max Nordau, et qui, si elle n’est pas exempte de défauts, n’est pas entachée, du moins, du vice d’hypocrisie, et même de « cant ». Esprit pétillant à jet continu, sarcasme acéré, pénétration aiguë, paradoxes passés presque tous aujourd’hui à l’état de truismes, bonne foi incontestable, conviction que rien ne parvient à ébranler, voilà les caractères généraux de l’œuvre ; Schopenhauer cherche infatigablement la vérité, en s’efforçant d’atteindre au cœur des choses, d’arriver à la connaissance des premiers principes. C’est un vivisectionniste qui fouille de son scalpel non la chair, comme les autres, mais l’âme, et qui poursuit sans émotion apparente son travail impitoyable, jusqu’à ce qu’il ait complètement mis à nu le squelette de l’esprit humain.

Un service de première importance qu’a rendu notre philosophe à sa génération, et dont notre époque pourrait faire aussi son profit, c’est celui qu’a souligné son compatriote Karl Hillebrand, qui fut notre professeur à l’ancienne Faculté des lettres de Douai. « Nous devons être reconnais-