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quelles vicissitudes il finit par surgir de l’obscurité à la gloire. C’est là un chapitre des plus intéressants et des plus suggestifs de l’histoire littéraire. Après l’insuccès à peu près complet de cette seconde édition du Monde comme volonté, qu’il avait élaborée avec tant d’amour et de foi, tout autre que lui, probablement, aurait enfin désespéré, aurait renoncé à jamais, sinon à écrire pour lui-même, du moins à s’adresser au public par l’intermédiaire d’un éditeur. Sa réputation continuait à reposer sur la notoriété modeste que lui avait valu, dans un cercle restreint d’initiés, son mémoire Sur la liberté de la volonté, et c’était là vraiment, à près de soixante ans, un résultat un peu maigre. Avec sa confiance inébranlable en son génie et son indomptable énergie, il poursuivit la lutte. Il exigeait comme un droit que la postérité, à défaut des contemporains, prêtât l’oreille à « son message », et, appliquant à son cas particulier le mot de Gœthe : « En avant, à travers les tombeaux ! », il ne se préoccupa plus que par boutades de son grand livre, qui semblait décidément né non viable. Il se remit à l’œuvre, et le fruit de ses nouvelles méditations fut les Parerga et Paralipomena.

Le penseur n’avait pas dit son dernier mot sur certains points de sa doctrine, sur certaines applications qu’on en pouvait faire ; il tenait à éclaircir certaines obscurités de son système, à tâcher de concilier certaines contradictions, et il s’assigna ce travail comme tâche suprême de sa vie. C’était en vertu de ce même désir de laisser son œuvre la moins incomplète possible, que Renan nous disait un jour, alors qu’il venait d’atteindre ses soixante-cinq ans, qu’il renonçait désormais aux ouvrages de longue haleine, pour reprendre et développer certaines parties de ses travaux qu’il jugeait insuffisantes, — occupation qui n’absorberait que trop aisément le restant de son existence. Mais écrire, et trouver un éditeur qui veuille bien publier ce qu’on a écrit, cela constitue une notable différence. « Lorsque Schopenhauer, dit Gwinner, eut terminé, dans l’été de 1850, après six années d’un travail quotidien, son dernier ouvrage, Parerga et Paralipomena, son crédit littéraire était encore