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de succès que celle-ci. L’auteur s’étant informé, au mois d’août 1846, de l’état de la vente, reçut de son éditeur la réponse suivante : « À la question que vous me posez, je ne puis, à mon grand regret, que vous répondre ceci : c’est que j’ai fait une mauvaise affaire ». Gwinner, l’ami et le principal biographe de Schopenhauer, a une page intéressante sur la lenteur des progrès de la philosophie de celui-ci, qui, étant donnée la faillite graduelle de l’hégélianisme, devait nécessairement voir bientôt luire son jour. « Nous autres Allemands, dit-il, nous mésusons de telle sorte de la liberté qui nous a toujours été accordée dans le champ des théories et des fantaisies, pour encombrer celui-ci, que le jugement et le goût de ceux qui, chez nous, lisent, sont émoussés et désorientés par l’élucubration sans plan ni discipline d’idées non venues à terme. L’autorité même de nos plus grands penseurs ne doit, de cette façon, que servir à la satisfaction des caprices d’une poignée de têtes à l’envers, de bavards et d’esprits exaltés. Il n’y a personne pour assigner à notre littérature, dans le champ clos où elle se débat, par un énergique Quos ego, sa direction et son but ; chacun y agit à sa guise, et aussi bien ou mal qu’il peut. En Angleterre et en France il en est autrement. Là, chacun sait exactement ce qu’il peut offrir à son public, et le public sait non moins exactement ce qu’il peut attendre de chacun. Il y existe, pour le fond et la forme de chaque production littéraire, une mesure moyenne qui est également appliquée et respectée par le producteur et le consommateur. Aussi constatons-nous que les Anglais et les Français ont infiniment moins de livres tout à fait mauvais ou inutiles, et perdent infiniment moins de temps à des études stériles et déconcertantes, que l’Allemand si fier de sa culture[1]. »

Il nous a paru indispensable de narrer rapidement ici cette histoire des écrits de Schopenhauer, pour marquer les étapes par la succession desquelles il est parvenu à la signification qu’il revêt aujourd’hui, pour montrer à travers

  1. Schopenhauer’s Leben, pp. 480-481.