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avec une opiniâtreté de fer jusque dans ma vieillesse[1]. »

En dépit de la foi robuste en soi-même qui s’exprimait une fois de plus dans cette lettre, et quoique le philosophe n’insistât pas outre mesure sur la question des droits d’auteur, Brockhaus lui opposa une réponse négative « aussi inattendue qu’accablante ». Il accepterait tout au plus l’affaire, concluait-il, si l’auteur consentait à payer au moins la moitié des frais d’impression. Schopenhauer refusa net, tout en ne se tenant pas encore pour battu. Il s’obstina tellement à vanter à Brockhaus sa marchandise, d’ailleurs précieuse, il faut bien en convenir, que celui-ci finit par consentir, au bout d’un mois, à faire les frais de cette seconde édition. « Je vous avoue sincèrement que vous m’avez causé une grande joie, lui écrivait Schopenhauer, le 14 juin ; mais je suis convaincu, non moins sincèrement, qu’en acceptant mon œuvre, vous n’avez pas fait une mauvaise affaire ; c’en est au contraire une très bonne, et le jour viendra où vous rirez vous-même de bon cœur de vos hésitations à imprimer mon livre à vos frais. Ce qui est vrai et sérieusement pensé se creuse sa voie souvent très lentement, mais sûrement, et conserve toujours sa valeur. La grosse bulle de savon de la philosophie fichte-schelling-hégélienne est en train de crever définitivement. D’autre part, le besoin de philosophie est plus grand que jamais. On va rechercher maintenant une nourriture solide, et on ne la trouvera que chez moi, le méconnu, parce que je suis le seul qui ai travaillé par vocation intime[2]. »

La seconde édition du Monde comme volonté et comme représentation parut donc en deux volumes, au mois de mars 1844. Un an se passa sans que la critique parût l’avoir remarquée. Puis quelques adhérents nouveaux, avant tout des hommes du métier, se rangèrent autour du philosophe ; mais l’œuvre continua à rester ignorée du grand public, et, en somme, cette seconde édition, augmentée du double et bien supérieure à la première, n’eut pas plus

  1. Schopenhauer’s Briefe, publiées par Édouard Grisebach, 1894, p. 75.
  2. Ibid., p. 88.