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dernières années, et je m’y suis mis parce que j’ai compris qu’il était temps d’en finir. Je viens, en effet, d’atteindre ma cinquante-cinquième année, c’est-à-dire que j’arrive à un âge où la vie commence déjà à devenir plus incertaine, et où, au cas où elle se prolonge longtemps encore, les forces intellectuelles perdent peu à peu leur énergie. Ce second volume a de grands avantages sur le premier ; il est à celui-ci ce qu’un tableau est à une esquisse. Il a la profondeur de pensée et la richesse de connaissances qui ne peuvent être que le fruit de toute une vie consacrée à l’étude et à la méditation. C’est, en tout cas, ce que j’ai écrit de mieux. Même le premier volume apparaîtra, grâce à celui-ci, dans sa pleine signification. J’ai pu m’exprimer aujourd’hui beaucoup plus librement et franchement qu’il y a vingt-quatre ans. L’époque, sous ce rapport, laisse déjà les coudées plus franches, et mon âge plus avancé, mon indépendance assurée et ma rupture définitive avec le monde universitaire, me permettent de prendre une attitude plus ferme… On ne sera pas toujours injuste envers moi, comme on l’a été jusqu’ici. Si vous connaissez l’histoire littéraire vraie, vous saurez que toutes les œuvres solides, toutes celles qui ont duré, sont restées négligées au début, comme la mienne, tandis que le faux et le mauvais prenaient le dessus. Ils savent si bien s’étaler dans le monde, qu’il ne reste aucune place pour le bon et le vrai, qui doivent se frayer par force un chemin vers la lumière. Mon jour aussi viendra pour moi, il doit venir, et plus il tardera, plus il sera éclatant. Il s’agit maintenant de publier une œuvre d’une valeur et d’une importance si grandes, que moi-même ici, derrière la coulisse, c’est-à-dire vis-à-vis l’éditeur, je n’ose pas les mettre en relief : vous ne me croiriez pas. Je puis du moins vous prouver que la publication seule me tient au cœur, et que je n’ai aucune arrière-pensée. Au cas où vous vous décideriez à cette seconde édition, je m’en remets à vous quant à la question des honoraires. Si vous ne croyiez pas devoir m’en verser, vous prendriez pour rien le travail de ma vie entière ; mais ce n’est pas non plus pour de l’argent que je l’ai entrepris, et poursuivi