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ne se préoccupent que du jour actuel et de la durée presque toujours courte de leur avenir personnel, soit en l’écartant expressément, soit en s’arrangeant de lui au moyen d’un système quelconque de métaphysique populaire ; — quand, dis-je, on considère bien ceci, on est en droit d’arriver à cette conclusion que l’homme peut, seulement en un très large sens, être qualifié d’être pensant. Alors on ne s’étonnera plus outre mesure d’aucun trait d’irréflexion ou de niaiserie ; on reconnaîtra plutôt que l’horizon intellectuel de l’être humain normal dépasse sans doute celui de l’animal, — dont l’existence entière, inconsciente de l’avenir et du passé, forme en quelque sorte un simple présent, — mais n’en est pas à une distance si incommensurable qu’on l’admet généralement.

C’est même la raison pour laquelle les pensées de la plupart des hommes, quand ils conversent, apparaissent hachées menu comme de la paille ; aussi ne peut-on en dévider un fil bien long.

Si ce monde était peuplé d’êtres pensants véritables, il serait impossible qu’on tolérât les bruits illimités de toute espèce, même les plus horribles et dépourvus de toute raison d’être[1]. Si, en effet, la nature avait destiné l’homme à penser, elle ne lui aurait pas donné d’oreilles, ou aurait du moins pourvu celles-ci de revêtements hermétiques, comme les chauves-souris, que

  1. Schopenhauer avait l’horreur du bruit en général, du claquement des fouets dans les rues en particulier, et les Parerga et Paralipomena renferment à ce sujet quelques pages très intéressantes, qu’on trouvera dans un des volumes suivants. (Le trad.)