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Les œuvres des cerveaux véritablement doués se distinguent des autres par leur caractère de décision et de détermination, en y ajoutant la netteté et la clarté qui en résultent ; c’est que ces cerveaux ont constamment su d’une façon bien nette ce qu’ils voulaient exprimer, que ce fût en prose, en vers ou en sons. Cette décision et cette netteté manquent aux autres, ce qui les fait reconnaître aussitôt pour ce qu’ils sont.

La marque caractéristique des esprits du premier rang est la spontanéité de leurs jugements. Tout ce qu’ils avancent est le résultat de leur penser personnel, et se manifeste tel en tout, rien que par leur manière de le présenter. Ils ont ainsi, comme les princes, une immédiativité dans le royaume des esprits ; les autres sont médiatisés. Cela se voit déjà par leur style, qui n’a pas d’empreinte propre.

Ainsi donc, chaque véritable penseur personnel ressemble à un monarque : il est immédiat, et ne reconnaît personne au-dessus de lui. Ses jugements, comme les décrets d’un monarque, émanent de son pouvoir suprême et procèdent directement de lui. Pas plus que le monarque n’accepte d’ordres, il n’accepte d’autorités ; il n’admet que ce qu’il a ratifié lui-même. La foule des cerveaux ordinaires, au contraire, empêtrée dans toutes sortes d’opinions, d’autorités et de préjugés courants, ressemble au peuple, qui obéit en silence à la loi et aux ordres.

Les gens ardents et empressés à décider sur la foi d’autorités les questions en litige, sont très contents quand ils peuvent substituer à leur intelligence et