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PENSEURS PERSONNELS


La plus riche bibliothèque, si elle est en désordre, n’est pas aussi utile qu’une bibliothèque restreinte, mais bien arrangée. De même, la plus grande masse de connaissances, si elle n’a pas été élaborée par le penser personnel, a beaucoup moins de valeur qu’une masse bien moindre qu’on s’est abondamment assimilée. Ce n’est qu’en combinant sous toutes les faces ce que l’on sait, en comparant chaque vérité avec une autre, qu’on entre en pleine possession de son savoir et qu’on se l’assujettit. On ne peut approfondir que ce que l’on sait. Il faut donc apprendre quelque chose ; et l’on ne sait que ce qu’on a approfondi.

Or, on peut s’appliquer de sa propre volonté à lire et à apprendre ; mais il n’en va pas de même de la pensée. Celle-ci doit être stimulée comme le feu par un courant d’air ; elle doit être entretenue par un intérêt pour le sujet en jeu. Ce sujet peut être purement objectif, ou seulement subjectif. Ce dernier cas ne se réfère qu’aux choses qui nous concernent personnellement. Le premier s’applique seulement aux cerveaux pensant par nature, auxquels la pensée est aussi naturelle que l’est la respiration ; mais ils sont très rares. La plupart des lettrés n’en offrent pas l’exemple.