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temps. La réputation et le succès de toutes ces choses proviennent de ce qu’il n’existe encore personne pour les réfuter ou en démontrer le côté faux. C’est ordinairement l’affaire de la génération suivante ; et alors c’en est fait de leur domination. Dans quelques cas seulement, celle-ci est de longue durée : ainsi, par exemple, la théorie des couleurs de Newton. D’autres cas analogues sont le système du monde de Ptolémée, la chimie de Stahl, la négation de la personnalité et de l’identité d’Homère par F. A. Wolf, peut-être aussi la critique destructive de l’histoire romaine des rois par Niebuhr, etc. Le tribunal de la postérité est donc, dans le cas défavorable comme dans le cas favorable, la vraie cour de cassation des jugements des contemporains. Voilà pourquoi il est si difficile et si rare de donner satisfaction à la fois aux contemporains et à la postérité.

On ne devrait jamais perdre de vue cette action infaillible du temps sur la rectification de la connaissance et du jugement. On se tranquilliserait ainsi chaque fois que, en art ou en science, ou dans la vie pratique, de fortes erreurs apparaissent et gagnent du terrain, ou qu’une tendance fausse et même perverse provoque les applaudissements. Alors il ne faut ni s’irriter ni bien moins encore désespérer ; il faut simplement se dire qu’on en reviendra un jour, et que le temps et l’expérience suffiront à faire reconnaître de soi-même ce que l’homme doué de meilleurs yeux a vu du premier coup d’œil.

Quand la vérité parle par la bouche des faits, on n’a pas besoin de lui prêter le secours des mots ; le temps lui donnera un million de langues. La longueur de ce temps dépendra naturellement de la difficulté du sujet