Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/189

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Maia, qui a enfanté un dieu immortel, ou, au rebours, à celle de Thétis par rapport à Achille. Le passager et le permanent forment un trop grand contraste. La courte existence du fils du temps, sa vie besogneuse, tourmentée, inquiète, lui permettra rarement de voir même le début de la carrière brillante de son enfant immortel, et même de constater qu’on l’estime à sa valeur.

La seule différence entre la gloire auprès des contemporains et la gloire auprès de la postérité, c’est que, dans le premier cas, les admirateurs de l’homme célèbre sont séparés de lui par l’espace, et, dans le second, par le temps. En règle générale, même quand il s’agit de la gloire auprès des contemporains, il n’a pas ceux-ci devant ses yeux. Le respect ne supporte pas la proximité ; il se tient au contraire presque toujours à une certaine distance ; en présence de l’homme qui en est l’objet, il fond comme du beurre au soleil. Aussi, les neuf dixièmes de ceux qui vivent dans le voisinage de l’homme déjà célèbre même auprès de ses contemporains, ne l’estiment-ils qu’en proportion de sa situation et de sa fortune ; le dernier dixième ne se fait guère une idée vague de ses mérites que par suite d’informations venues de loin. Sur cette incompatibilité entre le respect et la présence de la personne, et entre la gloire et la vie, nous avons une très belle lettre latine de Pétrarque : la deuxième de ses Epistolæ familiares, adressée à Thomas Messanensis, édition de Venise, 1492, que j’ai sous les yeux. Il y dit, entre autres choses, que tous les lettrés de son temps avaient pour maxime de déprécier les écrits dont ils n’avaient pas vu au moins une fois les auteurs.