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du blâme ou de l’éloge qui en résultent. Cette condition existe d’ailleurs toujours d’elle-même, dès que les autres sont réunies ; et c’est un bonheur. Si, en effet, on voulait, en produisant de telles œuvres, avoir égard à l’opinion générale ou au jugement de ses pairs, on serait, à chaque pas, détourné du droit chemin. Celui qui veut parvenir à la postérité doit donc se dérober à l’influence de son temps, mais aussi, le plus souvent, à l’influence sur son temps, et être prêt à acheter la gloire des siècles au prix de l’approbation de ses contemporains.

Quand une vérité nouvelle et fondamentale, par cela même paradoxale, surgit dans le monde, on lui résiste en général le plus longtemps possible, on continue même à la nier, quand déjà l’on hésite et qu’on est presque convaincu. En attendant, elle agit en silence, et, comme un acide, corrode tout ce qui l’entoure, jusqu’à ce que tout soit miné. Puis un craquement se fait entendre, la vieille erreur s’effondre, et tout à coup se dresse, comme un monument qu’on dévoile, le nouvel édifice d’idées, que tous reconnaissent et admirent. Sans doute, tout cela s’effectue d’ordinaire très lentement. On ne remarque en général un homme digne d’être écouté, que quand il n’est plus là ; de sorte que le hear ! hear ! (écoutez !) ne retentit qu’après le départ de l’orateur.

Un destin meilleur, par contre, est réservé aux œuvres de calibre ordinaire. Fruit et conséquence de la culture générale de leur époque, elles sont en rapport direct avec l’esprit du temps, c’est-à-dire avec les vues régnantes à ce moment, et sont calculées pour les besoins de ce moment. Dès qu’elles ont un mérite quel-