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Il en est donc de cette impudente flagornerie de gens de parti pris comme de la bien-aimée difficilement conquise, noble et sincère, par rapport à la prostituée vénale, dont l’épaisse couche de blanc de céruse et de vermillon aurait dû s’apercevoir immédiatement dans la gloire de Hegel, si, comme je l’ai dit, il y avait en Allemagne la moindre délicatesse. Alors ne se serait pas réalisé, d’une façon si criante, à la honte nationale, ce que Schiller avait déjà chanté :

J’ai vu les couronnes sacrées de la gloire
Profanées sur un front vulgaire[1].

L’auréole de Hegel, choisie ici comme exemple de fausse gloire, est d’ailleurs un fait sans pareil, — sans pareil même en Allemagne. Aussi j’invite les bibliothèques publiques à conserver, soigneusement momifiés, tous les documents de cette gloire, aussi bien que les Opera omnia du philosophastre lui-même, pour l’instruction, l’édification et l’amusement de la postérité, et comme un monument de cette époque et de ce pays.

Et si, étendant son regard plus loin, on considère d’une façon générale les éloges contemporains de tous les temps, on trouvera qu’ils ont joué toujours le rôle d’une prostituée, souillée par mille individus indignes qui en ont eu leur part. Qui pourrait désirer encore une pareille catin ? Qui pourrait s’enorgueillir de ses faveurs ? Qui ne la repousserait avec dégoût ? Au contraire, la gloire dans la postérité est une beauté fière et farouche qui ne se donne qu’à celui qui est

  1. « Ich sah des Ruhmes heil’ge Kränze
    Auf der gemeinem Stirn entweiht. »