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Voyage au Parnasse, donne aussi celle-ci : Que todo poeta, à quien sus versos hubieren dado à entender que lo es, se estime y tenga en mucho, ateniéndose à aquel refrán : ruin sea et que por ruin se tiene. (Que chaque poète, auquel ses vers ont donné à entendre qu’il en est un, s’estime et s’apprécie hautement, s’en tenant à ce proverbe : Gueux soit celui qui se tient pour gueux). Shakespeare déclare avec autant de certitude que de franchise, dans beaucoup de ses sonnets, seul endroit où il pouvait parler de lui, qu’il écrit pour l’immortalité. Son nouvel éditeur critique Collier dit à ce sujet, dans son introduction à cet ouvrage (p. 473) : « Beaucoup d’entre eux renferment des témoignages remarquables de bonne opinion de lui-même et de confiance en l’immortalité de ses œuvres ; la manière de voir de notre auteur reste, sous ce rapport, ferme et constante. Il n’hésite jamais à l’exprimer, et peut-être n’y a-t-il pas, ni dans l’antiquité ni dans les temps modernes, un écrivain qui, par rapport à ses écrits posthumes de cette espèce, ait affirmé si souvent et si nettement sa ferme confiance que le monde ne laissera jamais périr volontairement ce qu’il a écrit en ce genre de poésie. »

Un moyen fréquemment employé par l’envie pour rabaisser ce qui est bon, et qui n’est au fond que le simple envers de ce procédé, c’est l’éloge éhonté et sans scrupule du mauvais. Estimer le mauvais, c’est sacrifier le bon. Si efficace donc que soit pour un temps ce moyen, surtout s’il est pratiqué en grand, l’heure du règlement de compte n’en finit pas moins par arriver, et le crédit passager assuré aux mauvaises productions se paie par le discrédit durable des vils