Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/170

Cette page a été validée par deux contributeurs.

elle se trouve dans son Discreto sous cette rubrique : Hombre de ostentación[1]. Tous les oiseaux, exaspérés par la belle queue du paon, se sont conjurés contre lui. « Si nous obtenions, dit la pie, qu’il ne puisse plus faire sa maudite parade avec sa roue ! Alors sa beauté serait bien vite éclipsée, car ce que personne ne voit est comme si la chose n’existait pas », etc. La vertu de la modestie n’a donc été inventée que comme arme défensive contre l’envie. Qu’il y ait en tout temps des gueux qui insistent sur la modestie et qui se réjouissent si cordialement de trouver modeste un homme de mérite, j’ai expliqué la chose dans les additions au Monde comme volonté et comme représentation, chap. 37[2]. L’assertion connue de Gœthe, qui irrite beaucoup de gens : « les gueux seuls sont modestes », a déjà un vieux précurseur dans Cervantes, qui, parmi les règles de conduite à l’usage des poètes, contenues dans son

  1. Balthazar Gracian, le célèbre jésuite espagnol (1584-1638), auteur d’un grand nombre d’ouvrages de philosophie, de morale, de poétique et de rhétorique, fort oubliés aujourd’hui, mais qui faisaient les délices des lecteurs de son temps, non seulement dans sa patrie, mais aussi en Italie, en France, en Angleterre, en Allemagne et jusqu’en Hongrie. Schopenhauer le revendique ici comme sien, parce qu’il avait traduit, entre 1831 et 1832, « con amore », dit-il lui-même, son Oráculo manual y arte de prudencia (traduit en français, par Amelot de La Houssaie, sous le titre de l’Homme de Cour), pour lequel il ne trouva pas d’éditeur. Sa traduction a été publiée seulement par Édouard Grisebach, en 1894. On peut s’étonner de la prédilection du philosophe allemand, dont la pensée est si forte et le style si sain, pour l’auteur de l’Oráculo, qui se fit l’apôtre du « cultisme », c’est-à-dire de la subtilité comme l’unique source, l’unique moyen et l’unique fin de l’art, et dont le style raffiné, alambiqué, plein de faux brillants, touche souvent au galimatias, même double. (Le trad.)
  2. Il se réfère au § 51 du livre III de l’ouvrage. (Le trad.)