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belle œuvre requiert donc un esprit sensitif, une œuvre réfléchie un esprit pensant, pour exister et vivre réellement. Mais, hélas ! à celui qui lance une telle œuvre à travers le monde il peut arriver souvent ce qui arrive à un artificier qui, après avoir fait éclater ses merveilles longuement et péniblement préparées, apprend qu’il ne s’est pas rendu au bon endroit, et qu’il n’a eu pour spectateurs que les pupilles de l’Institution des aveugles. Cependant, il est encore en meilleure posture que s’il n’avait eu affaire qu’à un public d’artificiers comme lui : dans ce cas, si son exhibition avait été extraordinairement brillante, elle aurait pu lui coûter la vie.

La source de tout plaisir est l’homogénéité. À commencer par le sens de la beauté, notre propre espèce, et, dans celle-ci, notre propre race, sont incontestablement les plus belles pour nous. En matière de relations sociales aussi, chacun préfère nettement celui qui lui ressemble : un imbécile trouve la fréquentation d’un autre imbécile infiniment plus agréable que celle de tous les grands esprits réunis. Chacun doit donc aimer avant tout ses propres œuvres, car elles ne sont que le miroir réflexe de son propre esprit et l’écho de ses pensées. Chacun se complaira donc aux œuvres de ceux qui lui sont apparentés. Un homme plat, sec, entortillé, un petit homme, en un mot, n’accordera donc ses applaudissements sincères et vraiment sentis qu’à un homme plat, sec, entortillé ; il ne se complaira qu’au verbiage. Quant aux œuvres des grands esprits, il ne les acceptera que sur la parole d’autrui, c’est-à-dire contraint par le respect ; au fond du cœur elles lui dé-