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même ? Si les contemporains de ce dernier avaient en aucune façon reconnu sa valeur, nous aurions du moins de lui, vu l’épanouissement de la peinture à cette époque, un bon et authentique portrait, tandis que nous ne possédons que des portraits absolument douteux, une très mauvaise gravure en taille-douce, et un buste funéraire plus mauvais encore[1]. De même, ses autographes subsisteraient par centaines, tandis qu’ils se bornent à quelques signatures judiciaires. Tous les Portugais sont encore fiers de Camoëns, leur unique poète ; mais il vivait d’aumônes, qu’un jeune nègre ramené par lui des Indes recueillait le soir dans la rue à son intention. Avec le temps, sans doute (tempo è galantuomo), pleine justice sera rendue à chacun, mais aussi tard et aussi lentement que jadis par la Chambre impériale, et la condition sous-entendue est qu’on ne soit plus vivant. On suit à la lettre la prescription de Jésus fils de Sirach[2] (chap. xi, 28) : « Ante mortem ne laudes hominem quemquam ». Celui qui a créé des œuvres immortelles doit donc leur appliquer, pour sa consolation, le mythe hindou, en vertu duquel les minutes de la vie des immortels, sur la terre, paraissent des années, tandis que les années terrestres ne sont que des minutes des immortels.

Le manque de jugement déploré ici s’accuse aussi par le fait que, en chaque siècle, à la vérité, on

  1. A. Wivell, An Inquiry into the History, Authenticity and Characteristics of Shakespeare’s Portraits, with 21 Engravings. — London, 1836.
  2. Sage de la Judée, mort vers l’an 200 avant l’ère chrétienne, auteur du livre de l’Ecclésiastique, recueil de préceptes pour l’usage de la vie. Schopenhauer l’a déjà cité. (Le trad.)