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fait pas la différence, et l’on voit très sérieusement en lui un esprit du même calibre. Aussi Yriarte commencet-il sa XXVIIIe fable en ces termes :

Siempre acostumbra hacer el vulgo necio
De lo bueno y lo malo igual aprecio[1].

C’est ainsi que même les drames de Shakespeare, immédiatement après la mort de celui-ci, durent faire place à ceux de Ben Jonson, Massinger, Beaumont et Fletcher, et furent écartés par ceux-ci pendant un siècle. C’est ainsi que la sérieuse philosophie de Kant disparut devant les hâbleries patentes de Fichte, l’éclectisme de Schelling et le radotage pitoyablement bigot et douceâtre de Jacobi[2], jusqu’à ce qu’on en vint au point de mettre au même niveau que Kant, même à un niveau beaucoup plus élevé, un charlatan absolument déplorable, Hegel. Même dans une sphère accessible à tous, nous voyons l’incomparable Walter Scott dépossédé peu à peu, par des imitateurs indignes, de la faveur du grand public. Celui-ci n’a jamais, au fond, le sens de l’excellent, et par conséquent aucune idée de la rareté infinie du nombre d’hommes capables de produire vraiment quelque chose en poésie, en art ou en philosophie ; il ne se rend pas compte que leurs œuvres seules, elles seules, méritent notre attention. Aussi de-

  1. « Le sot vulgaire a toujours coutume
    De faire un cas égal du bon et du mauvais. »

  2. Frédéric-Henri Jacobi (1743-1819), qui fut lié intimement avec Goethe, et dont les œuvres les plus remarquables sont les deux romans intitulés les Papiers d’Allwill et Woldemar, est avant tout un philosophe, qui considérait le sentiment intime comme l’unique critérium de la vérité, et qui mêlait à ses idées plus ou moins originales une forte dose de piétisme mystique. (Le trad.)