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bles, et lui assigner ensuite un rang inférieur ; il ne faut prendre que ce qu’il a d’excellent. Car même dans la sphère de l’intellectuel, comme dans les autres sphères, la faiblesse et les travers de la nature humaine forment une couche si adhérente, que l’esprit le plus brillant lui-même ne peut pas toujours s’en défendre. De là les énormes défauts qu’on relève jusque dans les œuvres des plus grands hommes ; c’est le quandoque bonus dormitat Homerus d’Horace.

Ce qui, au contraire, distingue le génie et devrait être sa mesure, c’est la hauteur à laquelle il a pu s’élever, alors que le temps et l’occasion lui étaient favorables, hauteur qui reste inaccessible aux talents ordinaires. De même, il est très hasardeux de comparer ensemble des grands hommes dans le même genre, par exemple de grands poètes, de grands musiciens, de grands philosophes, de grands artistes ; on est, en effet, malgré soi, presque toujours injuste, au moins pour le moment. En appréciant le mérite particulier de celui-ci, on trouve aussitôt qu’il manque à celui-là, d’où rabaissement du second. Mais s’il est question du mérite particulier de celui-ci, tout différent de celui de l’autre, on le cherchera en vain chez le premier : de sorte que c’est à son tour d’être injustement rabaissé.

Il y a des critiques qui s’imaginent être en possession de ce qui est bon et de ce qui est mauvais. Ils prennent leur trompette d’enfant pour la trompette de la Renommée.

Une médecine n’atteint pas son but, quand la dose est trop forte. Il en est de même des réprimandes et des critiques, quand elles dépassent la mesure de la justice.