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naître le juste, le beau, le convenable comme tels, — et aussi leurs contraires. Il doit donc distinguer le bon du mauvais, trouver et apprécier celui-là, et rejeter celui-ci.

Les écrivains peuvent se partager en étoiles filantes, en planètes et en étoiles fixes. Les premières produisent les effets bruyants de courte durée : on regarde, on crie : « Voyez ! », et elles ont disparu à jamais. Les secondes — les étoiles errantes et voyageuses — ont beaucoup plus de consistance. Elles brillent, quoique seulement par suite de leur rapprochement, d’une manière souvent plus vive que les étoiles fixes, et les non connaisseurs les confondent avec celles-ci. En attendant, elles doivent aussi bientôt vider la place ; elles n’ont en outre qu’une lumière empruntée et une sphère d’action limitée sur leurs compagnes de route (les contemporains). Elles cheminent et changent : elles n’ont à leur disposition qu’une période de quelques années. Les troisièmes seules sont immuables, tiennent solidement au firmament, ont leur lumière propre, agissent à une époque comme à l’autre, vu que, n’ayant pas de parallaxe, elles ne modifient pas leur aspect par la modification de notre point de vue. Elles n’appartiennent pas, comme les précédentes, à un système (une nation seulement) ; elles appartiennent au monde entier. Mais précisément à cause de la hauteur où elles sont placées, leur lumière, avant d’être visible de la terre, a le plus souvent besoin de beaucoup d’années.

Pour mesurer un génie, il ne faut pas prendre les défauts de ses productions, ou ses œuvres les plus fai-