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beaucoup plus rares, aussi un certain loisir et une certaine indépendance.

Comme il se passe beaucoup de temps avant que l’humanité décide à qui elle doit accorder son attention, tous deux peuvent agir parallèlement.

En somme, l’engrais à l’écurie du métier de professeur est ce qui convient le mieux aux ruminants. Ceux qui, par contre, reçoivent leur nourriture des mains de la nature, se trouvent mieux au grand air.

La majeure partie du savoir humain, en chaque branche, n’existe que sur le papier, c’est-à-dire dans les livres, cette mémoire sur papier de l’humanité. Seule une petite partie de ce savoir est, à chaque moment donné, véritablement vivante dans certaines têtes. Cela provient surtout de la brièveté et de l’incertitude de la vie, comme de la paresse des hommes et de leur amour du plaisir. Chaque génération, qui s’écoule si rapidement, atteint du savoir humain juste ce qu’il lui faut. Elle disparaît bientôt. La plupart des lettrés sont très superficiels. Puis suit une nouvelle génération pleine d’espoir, qui ne sait rien, et doit tout apprendre à partir des éléments ; elle aussi s’assimile autant de choses qu’elle peut en saisir ou en utiliser pour son court voyage, et disparaît à son tour. Ce serait donc bien fâcheux pour le savoir humain, si l’écriture et l’imprimerie n’existaient pas. Aussi les bibliothèques sont-elles la seule mémoire sûre et durable de la génération humaine, dont chaque membre pris à part n’a qu’une mémoire très limitée et incomplète. Voilà pourquoi la plupart des lettrés ne tiennent pas plus à laisser examiner leur savoir que les marchands leurs livres.