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ment enracinées ni remplacés aussitôt, une fois épuisées, par d’autres de la même source, que celles sorties du fonds personnel même. Aussi Sterne, dans Tristram Shandy, a-t-il eu l’audace d’affirmer : « An ounce of a man’s own wit is worth a tun of other people’s ». (Une once d’esprit personnel vaut deux mille livres d’esprit d’autrui).

L’érudition la plus étendue est en réalité au génie ce qu’est un herbier au monde toujours en travail, éternellement frais et jeune, éternellement changeant des plantes ; et il n’y a pas de plus grand contraste que celui qui existe entre l’érudition du commentateur et la naïveté enfantine de l’auteur ancien.

Dilettantes, dilettantes : c’est le terme de mépris appliqué à ceux qui cultivent une science ou un art avant tout pour la joie qu’ils en éprouvent, per il loro diletto, par ceux qui s’y sont mis en vue du profit ; car ceux-ci ne sont alléchés que par la perspective de l’argent à gagner. Ce mépris repose sur la basse persuasion où ils sont que personne n’entreprendrait sérieusement une chose, si l’on n’y était poussé par le besoin, la faim, ou quelque instinct de ce genre. Le public est animé du même esprit et se range en conséquence au même avis ; de là son respect habituel pour les « gens du métier », et sa défiance des dilettantes. En réalité, au contraire, le dilettante considère la chose comme un but ; l’homme du métier, seulement comme un moyen. Mais celui-là seul qui s’intéresse directement à une chose et qui la pratique par amour, con amore, la prendra tout à fait au sérieux. C’est de ces hommes-là, et non des mercenaires, que sont toujours sorties les plus grandes choses.