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peu à peu à nous complaire presque exclusivement aux livres, et à délaisser les hommes.

Il n’y a pas de plus grand rafraîchissement pour l’esprit que la lecture des classiques anciens ; dès qu’on ouvre au hasard l’un d’entre eux, ne fût-ce que pour une demi-heure, on se sent aussitôt délassé, soulagé, épuré, élevé et fortifié ; il semble que l’on vient de se désaltérer à la source pure d’un rocher. Cet effet est-il dû à la perfection des langues anciennes, ou à la grandeur des esprits dont le temps n’a ni entamé ni affaibli les œuvres ? Peut-être aux deux raisons ensemble. Mais je sais une chose : si l’on doit cesser un jour d’apprendre les langues anciennes, comme on nous en menace, nous aurons une littérature nouvelle consistant en un gribouillage d’une barbarie, d’une platitude et d’une indignité sans pareilles jusque-là ; d’autant plus que la langue allemande, qui possède pourtant quelques-unes des perfections des langues anciennes, est dilapidée et massacrée à l’envi et méthodiquement par les infâmes écrivailleurs du « temps présent », de sorte que, appauvrie et estropiée, elle tombe peu à peu à l’état de misérable jargon.

Il y a deux histoires : l’histoire politique et celle de la littérature et de l’art. La première est celle de la volonté, la seconde celle de l’intellect. Aussi celle-là ne cesse-t-elle d’être angoissante, même terrible : partout détresse, trahison, meurtre, horreurs. Celle-ci, au contraire, est constamment satisfaisante et gaie, comme l’intellect isolé, même quand elle enregistre des erreurs. Sa branche principale est l’histoire de la philosophie. Cette dernière est en quelque sorte sa basse fondamentale, qui résonne jusque dans l’autre histoire, et y