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ce qu’il est. Mais de même que le corps s’assimile ce qui lui est homogène, chacun retiendra ce qui l’intéresse, c’est-à-dire ce qui convient à son système d’idées ou à ses vues. Des vues, chacun en a ; mais quelque chose qui ressemble à un système d’idées, bien peu de gens le possèdent. Aussi ne prennent-ils à rien un intérêt objectif, et voilà pourquoi il ne leur reste rien de leur lecture ; ils n’en retiennent rien.

Ce serait bien d’acheter des livres, si l’on pouvait acheter le temps de les lire ; mais on confond le plus souvent l’achat des livres avec l’appropriation de leur contenu.

Repetitio est mater studiorum. Il faut relire deux fois de suite chaque livre important, parce que, d’une part, on saisit mieux, la seconde fois, les choses dans leur ensemble, et que l’on ne comprend bien le commencement que lorsqu’on connaît la fin ; et, d’autre part, parce qu’on y apporte la seconde fois une autre disposition d’esprit et une autre humeur que la première, ce qui modifie l’impression. C’est comme si on voyait un objet sous une autre lumière.

Les œuvres sont la quintessence d’un esprit. Celui-ci fût-il le plus grand, elles seront toujours infiniment supérieures à sa conversation, en tiendront lieu d’une façon générale, et, en somme, la surpasseront de beaucoup. Même les écrits d’une tête médiocre peuvent être instructifs et intéressants, parce qu’ils sont sa quintessence, le résultat, le fruit de sa pensée et de ses études ; tandis que sa conversation est insuffisante pour nous. Aussi peut-on lire des livres de gens qu’on ne trouverait aucune satisfaction à fréquenter ; et voilà pourquoi une haute culture intellectuelle nous amène