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rayons des bibliothèques conservent par rangées les erreurs passées et leurs exposés. Celles-ci, comme ces êtres vivants, étaient très vivaces à leur époque et faisaient beaucoup de bruit ; mais maintenant les voilà raidies et pétrifiées, et le paléontologiste littéraire seul les regarde.

À en croire Hérodote, Xerxès pleura à la vue de son innombrable armée, en songeant que de tous ces hommes il n’en resterait pas un seul vivant dans cent ans. Qui ne pleurerait aussi à la vue de l’épais catalogue de la foire de Leipzig, en songeant que, de tous ces livres, il n’en restera pas un seul vivant même dans dix ans ?

Il n’en est pas autrement en littérature que dans la vie : de quelque côté qu’on se tourne, on se heurte aussitôt à l’incorrigible populace de l’humanité. Elle existe partout par légions, remplissant tout, salissant tout, comme les mouches en été. De là la quantité innombrable de mauvais livres, cette ivraie parasite de la littérature, qui enlève sa nourriture au froment, et l’étouffe. Ils accaparent le temps, l’argent et l’attention du public, qui appartiennent de droit aux bons livres et à leur noble destination, tandis qu’eux ne sont écrits qu’en vue de grossir la bourse ou de procurer des places. Ils ne sont donc pas seulement inutiles, ils sont positivement nuisibles. Les neuf dixièmes de toute notre littérature actuelle ne tendent qu’à faire sortir quelques thalers de la poche du public. Auteurs, éditeurs et critiques ont fait un pacte sérieux à ce sujet.