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lité, et voilà le fond de la chose, quoi que vous fassiez. Ainsi, la paresse et sa fille l’ignorance sont ici simplement en jeu. C’est une honte ! L’un n’a rien appris, et l’autre ne veut rien apprendre. Les cigares et la politiquaille ont, de nos jours, chassé l’érudition, comme les livres d’images pour les grands enfants ont remplacé les journaux littéraires.

Les Français, y compris leurs Académies, traitent honteusement la langue grecque. Ils s’emparent de ses mots pour les massacrer. Ils écrivent, par exemple, « étiologie », « esthétique », etc., tandis que justement en français seul ai se prononce comme en grec ; puis, « bradype », « Œdipe », « Andromaque », etc. ; c’est-à-dire qu’ils écrivent les mots grecs comme les écrirait un jeune paysan français qui les aurait happés d’une bouche étrangère. Ce serait pourtant bien gentil, si les érudits français voulaient au moins faire semblant de comprendre le grec. Mais voir effrontément massacrer la noble langue grecque au profit d’un jargon aussi dégoûtant que l’est le jargon français en lui-même[1], c’est un spectacle analogue à celui de la grande araignée des Indes occidentales dévorant un colibri, ou d’un crapaud dévorant un papillon. Je voudrais que les

  1. Ce plus misérable des jargons romans, cette pire mutilation des mots latins, cette langue qui devrait professer un profond respect pour sa sœur aînée, beaucoup plus noble qu’elle, l’italien ; cette langue qui a pour propriété exclusive la répugnante nasale en, on, un, ainsi que le hoquetant et abominable accent sur la dernière syllabe, tandis que toutes les autres langues ont la longue pénultième douce et calmante ; cette langue où il n’y a pas de mètre, mais seulement la rime, et le plus souvent sur é ou sur ou, ce qui exclut la forme poétique, — cette misérable langue.