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langues modernes : d’où l’on peut déjà voir quelle distance nous sépare des auteurs anciens que l’on connaît par de telles traductions[1].

L’avantage de l’étude des langues manquait aux Grecs. Cela, sans doute, leur épargnait beaucoup de temps, duquel, d’ailleurs, ils étaient peu économes. C’est ce dont témoignent les longues flâneries quotidiennes des hommes libres sur l’agora, qui rappellent même les lazzaroni et toute la vie italienne sur la piazza.

Enfin, ce qui vient d’être dit permet facilement de voir que l’imitation du style des anciens, dans leurs langues infiniment supérieures aux nôtres sous le rapport de la perfection grammaticale, est le meilleur moyen de tous pour se préparer à l’expression aisée et achevée de ses pensées dans sa langue maternelle. Pour devenir un grand écrivain, c’est même indispensable ; — absolument comme il est nécessaire, pour le sculpteur et le peintre qui débutent, de se former par l’imitation des modèles de l’antiquité, avant de se livrer eux-mêmes à la composition. Par le seul fait d’écrire en latin, on apprend à traiter la diction comme une œuvre d’art dont la matière est la langue ; celle-ci doit donc être maniée avec le plus grand soin et la plus grande précaution. En conséquence, une attention aiguisée se porte désormais sur la signification et la valeur des mots, de leur groupement et des formes grammaticales ; on apprend à peser exactement celles-ci, et ainsi à manier le précieux matériel propre à servir à l’expression et à la conservation de pensées qui le méritent ; on

  1. C’est pour cette raison que les langues anciennes sont un instrument direct de culture et fortifient l’esprit.