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impossible de la traduire ; on ne peut que la remanier, ce qui est toujours une entreprise périlleuse. Même en simple prose, la meilleure traduction sera tout au plus à l’original ce qu’est à un morceau de musique la transposition de celui-ci dans un autre mode. Les connaisseurs en musique savent ce que cela veut dire. Voilà pourquoi chaque traduction reste morte, et son style forcé, raide, dépourvu de naturel. Ou bien elle est trop libre, c’est-à-dire se contente d’un « à peu près », et, par conséquent, est fausse. Une bibliothèque de traductions ressemble à une galerie de tableaux qui ne sont que des copies. Et les traductions des écrivains de l’antiquité, surtout, constituent pour ceux-ci un succédané tel que la chicorée par rapport au vrai café.

La difficulté gît donc, dans l’étude d’une langue, à connaître aussi chaque idée pour laquelle elle a un mot, quand notre propre langue ne possède pas de mot qui correspond exactement à celui-ci ; et c’est souvent le cas. On doit donc, quand on étudie une langue étrangère, délimiter dans son esprit plusieurs sphères toutes nouvelles d’idées ; ainsi naissent des sphères d’idées qui n’existaient pas encore. On n’étudie donc pas seulement des mots, mais on acquiert des idées. C’est surtout le cas dans l’étude des langues anciennes. En effet, le mode d’expression des anciens diffère beaucoup plus du nôtre que ne diffère celui des langues modernes entre elles ; on le constate quand, traduisant en latin, on doit recourir à des tournures toutes différentes de celles de l’original. Oui, on doit le plus souvent refondre et transformer complètement l’idée à rendre en latin ; procédé par lequel elle est décomposée en ses