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idée, tandis qu’il se trouve dans la plupart des autres, ou même dans toutes. Un exemple tout à fait déplorable sous ce rapport, c’est l’absence en français du verbe allemand « stehn » (être debout). Pour certaines idées, d’autre part, il y a dans une seule langue un mot qui passe ensuite dans les autres langues : ainsi le latin « Affect », le français « naïf », l’anglais « comfortable, disappointement, gentleman », et beaucoup d’autres. Parfois aussi une langue étrangère exprime une idée avec une nuance que notre propre langue ne lui donne pas, et avec laquelle nous la pensons désormais. Alors tous ceux qui tiennent à exprimer exactement leurs pensées emploieront le mot étranger, sans se préoccuper des cris des puristes pédantesques. Chaque fois que, dans une langue, une idée qui n’est pas exactement la même est rendue, comme dans l’autre, par un mot déterminé, le dictionnaire traduit celui-ci par plusieurs expressions apparentées, qui, toutes, touchent la signification de ce mot, non concentriquement, mais en diverses directions qui se côtoient, comme dans la figure précédente. De cette façon, on fixe les limites de l’idée. C’est ainsi, par exemple, qu’on rendra en allemand le latin honestum par « wohlanständig, ehrenwert, ehrenwoll, ansehnlich, tugendhaft », etc., et le grec σώφρων d’une manière analogue[1]. Voilà pourquoi toutes les traductions sont nécessairement imparfaites. On ne peut presque jamais faire passer d’une langue dans une autre une période caractéristique, en relief et importante, de manière à ce qu’elle produise absolument le même effet. Quant à la poésie,

  1. Le mot grec σωφρωσύνη (sagesse) n’a d’équivalent exact en aucune langue.