Page:Schopenhauer, Eristische Dialektik.pdf/37

Cette page n’a pas encore été corrigée

éprouvée. Puis quelques autres personnes, persuadées que ces premières personnes avaient les capacités nécessaires, ont également accepté ces opinions. Puis, là encore, acceptées par beaucoup d’autres dont la paresse a tôt fait de convaincre qu’il valait mieux y croire plutôt que de fatiguer à éprouver eux-mêmes la théorie. Ainsi, le nombre de ces adhérents paresseux et crédules grossit de jour en jour, car ceux-ci n’allaient guère au-delà du fait que les autres n’ont pu être que convaincus par la pertinence des arguments. Le reste ne pouvait alors que prendre pour acquis ce qui était universellement accepté afin de ne pas passer pour des révoltés résistant aux opinions que tout le monde avait accepté, soit des personnes se croyant plus intelligentes que le reste du monde. Lorsque l’opinion a atteint ce stade, y adhérer devient un devoir, et le peu de personnes capables de former un jugement doivent rester silencieux : ceux qui parlent sont incapables de former leurs propres opinions et ne se font que l’écho des opinions d’autres personnes, et pourtant, sont capables de les défendre avec une ferveur et une intolérance immenses. Ce que l’on déteste dans les personnes qui pensent différemment n’est pas leurs opinions, mais leur présomption de vouloir formuler leur propre jugement, une présomption dont eux-mêmes ne se croient pas coupables, ce dont ils ont secrètement conscience. Pour résumer, peu de personnes savent réfléchir, mais tout le monde veut avoir une opinion et que reste-t-il sinon prendre celle des autres plutôt que de se forger la sienne ? Et comme c’est ce qui arrive, quelle valeur peut-on donc donner à cette opinion, quand bien même cent millions de personnes la supportent ? C’est comme un fait historique rapporté par des centaines d’historiens qui se seraient plagié les uns les autres : au final, on remonte qu’à un seul individu. (Cf. Bayle, Pensées sur les comètes, I, § 10).

Dico ego, tu dicis, sed denique dixit et ille:
Dictaque post toties, nil nisi dicta vides.

Et pourtant, on peut utiliser l’opinion générale dans un débat avec des personnes ordinaires.

On peut se rendre compte que lorsque deux personnes débattent, c’est le genre d’arme que tous deux vont utiliser à outrance. Si quelqu’un de plus intelligent doit avoir affaire à eux,