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nous sommes ainsi comme presque forcés à être de mauvaise foi, ou du moins fortement enclins à l’être. La faiblesse de l’intellect et la perversion de la volonté se soutiennent mutuellement. De là, ces joutes n’ont pas pour objectif la vérité mais une thèse, comme s’il s’agissait d’une bataille pro aris et focis poursuivie per fas et nefas. Comme expliqué plus haut, il ne peut en être autrement.

Ainsi, de manière générale, chacun persistera à défendre ses propres positions, même si sur le moment il la considère lui-même comme fausse ou douteuse.[1]Tout le monde est armé jusqu’à un certain point contre ce genre de procédé par sa propre astuce et son manque de scrupules : chacun apprend dans la vie de tous les jours cette dialectique naturelle de même que chacun possède sa logique naturelle. Cependant, celle-ci n’est pas fiable sur le long terme. Il n’est pas aisé pour quelqu’un de réfléchir à l’encontre des lois de la logique : si les faux jugements sont fréquents, les fausses conclusions sont rares. Ainsi, les hommes sont rarement exempts de logique naturelle, mais ils peuvent cependant être exempt de dialectique naturelle : c’est un don distribué en mesures pour le moins inégales (elle est l’équivalent du jugement, qui est inégalement répartie parmi les hommes tandis que la raison reste la même). Il arrive souvent que quelqu’un soit dans le vrai mais que son argumentation ait été confondue par des arguments superficiels. S’il émerge vainqueur de la controverse, il devra souvent sa victoire non seulement à la justesse de son jugement, mais

  1. Machiavel conseille à son Prince de profiter de tout moment de faiblesse de son voisin pour l’attaquer car ce dernier risque d’agir de même. Si l’honneur et la fidélité régnaient en ce monde, ce serait une autre histoire, mais comme on n’est pas en droit d’espérer trouver ces qualités chez son prochain, on ne doit pas les pratiquer soi même sous peine de voir cette pratique se retourner contre soi. Ainsi en est il dans un débat : si je laisse mon adversaire avoir raison dès que j’ai l’impression qu’il a raison, il y a peu de chances qu’il fasse de même lorsque la situation s’inversera, et s’il procède per nefas, je dois faire de même. Il est facile de dire que l’on doit se rallier à la vérité sans se soucier de ses propres préjugés, mais il ne faut pas s’attendre à ce que son adversaire fasse de même, et il faut donc agir ainsi soi même. En outre, si je devais abandonner la position que je défendais auparavant dès que je me rends compte que mon adversaire a raison, il demeure possible que cette impression n’est que passagère et que je risque d’abandonner la vérité pour accepter une erreur.