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plaît d’appeler dialectique. Mais pour éviter toute confusion je l’appellerai « dialectique éristique », la science des procédés par lesquels les hommes manifestent cette confiance en leurs opinions.


La dialectique éristique

[1] La dialectique éristique[1] est l’art de la controverse, celle que l’on utilise pour avoir raison, c’est-à-dire per fas et nefas[2]. On peut en toute objectivité avoir raison, et pourtant aux yeux des spectateurs, et parfois pour soi-même, avoir tort. En effet, si un adversaire réfute une preuve, et par là donne l’impression de réfuter une assertion, il peut pourtant exister d’autres preuves. Les rôles ont donc été inversés : l’adversaire a raison alors qu’il a objectivement tort. Ainsi, la véracité objective d’une phrase et sa validité

  1. Les Anciens utilisaient les termes logique et dialectique comme synonymes, ce qui est d’ailleurs toujours le cas avec le sens moderne de ces mots.
  2. Éristique n’est qu’un terme plus dur signifiant la même chose. Aristote (selon Diogène Laërce, V. 28) aurait placé sur un pied d’égalité rhétorique et dialectique, visant à convaincre, το πιϑανον, tandis qu’analytique et philosophie visent à chercher la vérité. Διαλεκτικη δε εστι τεκνη λογων, δί ης ανασκευαζομεν τι η κατασκευαζομεν, εξ ερωτη σεως και αποκρισεως τωυ προσδιαλεγομενων, Diogène Laërce, Vita Platonis, III, 48. Aristote fait la différence entre
    1. la logique ou analytique, la théorie ou méthode menant aux véritables conclusions, l’apodictique ;
    2. la dialectique, ou la méthode menant aux conclusions passant pour véritables — ενδοξα, probabilia (Topica, I, 1 et 12) — autrement dit les conclusions qui ne passent pas pour fausses et qui ne passent pas pour vraies (en elles-mêmes). Qu’est-ce sinon l’art d’avoir raison, que l’on ait raison ou pas ? C’est-à-dire l’art d’attendre l’apparence de la vérité, comme je le disais plus haut. Aristote divise toutes les conclusions entre logique et dialectique de la manière que je viens de décrire, puis en éristique ;
    3. l’éristique, la méthode par laquelle la forme de la conclusion est correcte mais dont les phrases, le sujet, ne sont pas vraies mais paraissent vraies, et enfin :
    4. la sophistique, la méthode où la forme de la conclusion est fausse alors qu’elle paraît correcte.
    Ces trois derniers appartiennent à l’art de la dialectique éristique car elles n’ont pas pour objectif de parvenir à la vérité mais seulement de se parer de son apparence, c’est-à-dire d’avoir raison. Les conclusions sophistiques d’Aristote, dernier livre de sa dialectique, fut édité ultérieurement.