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SUZANNE (frissonnante). — Oh !

Mme  de RYVÈRE. — Tu vois bien que tu n’es pas sage.

SUZANNE (éclatant). — Eh bien, non ! je ne suis pas sage… et je ne saurais plus l’être, sage, ô madame la Sagesse. Sage ! Quand tu as dit ce mot, toi, tu penses avoir tout dit… Sage ! à quoi cela vous sert-il d’être sage ? Sage ! mais tu ne vois donc pas que tout mon sang se révolutionne en moi, que ma chair me fait mal, que mes tempes battent la folie, que mes pauvres yeux n’y voient plus. Sage ! mais je n’ai pas le cœur d’une sœur de charité, ma douce Marthe. La sœur n’a ni mon tempérament, ni mon âme, ni ma force de vie… Sage ! allons donc, la belle aventure !… Ce Margeret m’a marquée, comme il dit. Toute la nuit, c’est son baiser maudit que j’ai senti comme des tenailles rouges s’accrochant à mes lèvres palpitantes. C’est son souffle jeune et chaud que je sentais sur mes dents, sur mes gencives, et tiens, si tu veux le savoir, sur ma langue aussi ! J’aurais voulu la vomir, ma langue, et malgré tout, malgré moi, j’étais heureuse ! heureuse comme une vierge qui, pour la première fois de sa vie, apprend qu’elle est aimée. Qui