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— Les habitants ont filé, c’est évident. Il nous faut pourtant du foin et de l’avoine pour nos chevaux… Frappez à toutes les portes et entrez, si l’on ne répond pas !

En un clin d’œil, les soldats se répandirent de tous côtés. Mais la population effrayée par la canonade, avait, la veille, évacué en masse le village menacé.

Deux ou trois puits fournirent l’eau nécessaire, et, quand les chevaux et les hommes furent désaltérés, le capitaine annonça qu’il attendrait désormais des ordres et ne se remettrait probablement en marche que le lendemain au lever du soleil.

On trouva quelques jambons dans une maison bourgeoise, un peu de farine de maïs chez quelques paysans. Une douzaine de lapins qui étaient restés fidèles au poste payèrent de la vie leur attachement au pays natal.

Le capitaine, avec les lieutenants, et un chirurgien militaire, s’installa dans une maison assez vaste qui semblait appartenir à des gens aisés. En effet, deux officiers, étant descendus à la cave, en rapportèrent plusieurs bouteilles de vin, en disant qu’il y avait en bas plusieurs barriques pleines jusqu’à la bonde. D’autres trouvèrent dans une pièce voûtée au fond de la cour des jambons, du lard et du porc salé. Sur une étagère s’alignaient une vingtaine de fromages, et en face une provision abondante de larges pains noirs, évidemment destinés à la provision des hommes de culture.

La table fut bientôt dressée et les officiers, l’appétit singulièrement aiguisé par une marche de trente-six kilomètres, se livrèrent à une véritable bombance. Le vin blanc coulait à flots.

Raymond Bertheux, le chirurgien, avait eu l’excellente idée de placer les bouteilles dans un panier et de les descendre au fond du puits, d’où elles étaient remontées rafraîchies en quelques minutes, et, la gaieté française aidant, le repas devint bientôt des plus animés.

— Capitaine Laurent, dit le chirurgien en piquant du bout de son couteau une tranche de jambon qu’il amena du milieu de la table jusqu’à son assiette, je ne sais si c’est demain que nous aurons des trous dans la peau, mais en attendant, bouchons toujours celui que nous avons dans l’estomac !

— Je pense, répondit le capitaine, qu’il nous faudra marcher au petit jour dans la direction de Solferino, où se trouvent les troupes sardes.

— Bonne nouvelle ! reprit le chirurgien, nous aurions ainsi sept ou huit heures de sommeil, ce qui n’est pas à dédaigner.