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Par l’expression « demander le bonheur, kuçalam, c’est-à-dire la santé brahmanique, on entend demander des nouvelles du bonheur, et ainsi de suite. S’informer auprès du Vaîçya de son succès, kshema, ce qui est un terme de commerce[1], et signifie proprement l’avoir qu’on a gagné, le profit, c’est du succès de ses affaires qu’on veut parler. Au Çûdra il faut demander des nouvelles de sa santé, par où on entend une certaine santé ou, proprement, la non-maladie, ârogyam.

Ce terme, placé comme il est dans le salut adressé au Çûdra est caractéristique de la position sociale de la quatrième caste. En effet, il indiqué qu’on demande au Çûdra, non des nouvelles de sa santé, quoique, pour être intelligible en français, on traduise ârogya par santé, mais plutôt qu’on lui demande s’il n’est pas malade. On croit donc qu’il est toujours malade, que l’état de maladie est son état constitutif ? Cette forme de salutation nous révélerait donc la profondeur des préjugés dont les Çûdras sont en butte dans la Société brâhmanique ?

Mais, objectera-t-on, une demande identique, quant au sens, est adressée au Kshatriva, puisque le mot anâmayam lui aussi veut dire non-maladie. Cette objection est juste, et elle trouve sa solution dans ce fait, que l’état de Kshatriya était primitivement inférieur à celui du Vaîçya, qu’il était même un état méprisé. Aussi Jacob Grimm, le prince de la science philologique, a-t-il raison sans doute quand il dit

  1. C’est parce que c’est un terme de commerce qu’on est assez étonné de le trouver employé dans les doctrines théologiques des Upanishats. Ainsi Khrishna dit, Bhagavad-Gîtâ, IX, 22 : « Aux hommes qui me vénèrent, en n’attachant leur pensée à aucun autre (objet), qui (sont) toujours appliqués (au yoga), je donne le yogakshema (c’est-à-dire : la possession tranquille de ce qu’ils ont acquis). »